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Compte rendu rédigé par Cécile Champonnois

                Les éditions Minerve proposent au public une troisième édition revue et corrigée de l’ouvrage de Catherine Kintzler publié pour la première fois en 1983, année où elle reçut le Prix de littérature musicale de l'Académie Charles Cros 1983. Catherine Kintzler est philosophe, musicienne et professeur émérite de philosophie à l’Université Charles de Gaulle Lille 3. Depuis la première publication en 1991 de Poétique de l’opéra français, livre de référence pour les musicologues, ses ouvrages et articles sont toujours attendus avec impatience par les chercheurs. Cette troisième édition comporte non seulement une nouvelle préface et une bibliographie plus étendue mais aussi une annexe IV intitulée « Les opéras de Rameau et la question du merveilleux maçonnique ».
                D’une présentation fort agréable, le livre offre sur sa page couverture un portrait réalisé par Jean- Baptiste Van Loo (ou Vanloo) représentant Jean-Philippe Rameau, dont l’œuvre et les théories seront, tout au long de l’ouvrage, confrontées à d’autres penseurs et théoriciens, et non des moindres : d’Alembert, Rousseau, etc. Peint vers 1740, le tableau est fort bien choisi puisqu’il correspond à l’arrivée de Rousseau à Paris (1741), donc au début de leur affrontement. L’ouvrage contient quelques coquilles étonnamment concentrées dans le quatrième chapitre de la première partie et dans la première annexe, pourtant publiés à plusieurs occasions sans coquille en 1983 et 1988 pour « dép!oiment » (p. 92) et « expérimentaI » (p.164) ou déjà avec coquille en 1988 pour « conversatisme » (p. 102). Une autre erreur à corriger concerne le tableau récapitulatif des modèles de théorisation des relations entre musique et langage. Présent en fin du quatrième chapitre de la première partie dans les autres éditions, il se révèle étrangement absent de cette dernière réédition, contrairement à ce qui a été annoncé dans les dernières lignes du chapitre (ici p. 108)! Lacune dommageable car le lecteur feuillète inlassablement le livre à la recherche de ce tableau schématique particulièrement utile pour aider à la compréhension du texte et à la réalisation d’une synthèse du chapitre.
                La préface, signée Catherine Kintzler, indique aux lecteurs que le troisième chapitre de la première partie avait fait l’objet d’une augmentation conséquente dans la seconde édition de 1988, complétée dans la présente édition. Ces apports successifs à la première partie (95 pages) ont eu pour conséquence une grande disproportion des deux parties (40 pages pour la seconde partie). Même les annexes ajoutées par l’auteur occupent une place plus importante dans l’ouvrage (environ 50 pages) que cette deuxième partie; sans parler de la bibliographie mise à jour et augmentée qui s’étend tout de même sur 20 pages. La conclusion, autre élément ajoutant encore à l’impression d’étrangeté dans la construction de l’ouvrage, n’occupe que deux pages. Outre cette disproportion majeure, notons que l’auteur ne présente pas d’index, outil pourtant essentiel aux chercheurs et très facile à réaliser de nos jours grâce aux progrès de la technologie.
                La préface (p. 7-10) informe donc les lecteurs des changements majeurs opérés dans l’ouvrage et présente un parallèle entre les spectateurs des âges classique et contemporain. En cela, elle est représentative des nouvelles préoccupations de l’auteur.
                Dans l’introduction (p. 13-14), l’auteur expose a son lecteur que l’objectif premier de l’ouvrage consiste à rendre justice à deux figures marquantes du dix-huitième siècle, Jean-Philippe Rameau et Jean-Jacques Rousseau, porteurs de deux théories esthétiques opposées; Le cartésianisme esthétique aurait pour figure exemplaire Rameau, et se présenterait sous la forme de quatre axiomes que connaissait Rousseau et qu’il aurait volontairement renversés en construisant sa propre théorie esthétique. Ils touchent à
- la vérité de la nature,
- l’illusion comme révélateur de la vérité,
- la tragédie lyrique pensée comme un double inverse de la tragédie,
- la co-présence du texte et du son.
Ce sont ces quatre axiomes qui seront les objets des quatre chapitres de la première partie, dont l’intitulé, Vérité et illusion, résume bien les préoccupations des hommes de l’âge classique telles que décrites par Catherine Kintzler tout au long de ces pages.
                Le chapitre premier, « Un artiste philosophe » (p. 17-39) présente Rameau en homme de son temps, à la fois artiste et intellectuel, volontiers polémiste. Refusant l’empirisme de ses prédécesseurs, Rameau étudie la musique en cartésien considérant qu’elle « s’appuie sur une réalité physique objective, analysable en relations mathématiques » (p. 24). Il s’agit de « fonder l’art en raison sur la nature des choses » et le compositeur appuie toute sa pensée sur la théorie du corps sonore (p. 25). Catherine Kintzler démontre à ses lecteurs que les recherches de Rameau sur la musique évoluent du point de vue de l’objet (d’une thèse monocordiste à une théorie de la résonance, p. 28) mais pas du point de vue de la méthode, fondée sur la raison universelle, à savoir sur l’établissement de principes « évidents » et sur un ordre raisonné (p. 27, 28), modèle méthodique de Descartes. Ce changement est dû à la lecture des travaux de l’acousticien Joseph Sauveur portant sur les vibrations (p. 25, 28). Au cours des années, Rameau, pris d’un excès de cartésianisme et plongeant dans le pythagorisme, à la grande surprise de d’Alembert et des encyclopédistes, voit leur soutien diminuer progressivement devant la radicalisation de ses positions (p. 36-39). Pour lui, la musique fournirait le modèle de l’ensemble des lois naturelles applicables à l’univers entier, devenant ainsi la première de toutes les sciences. Devenue « harmonie universelle », elle permettrait en outre de « rendre sensible à l’oreille la nature profonde de la vérité du monde » (p. 38).
                Le deuxième chapitre, Le paradoxe du jardin français (p. 41-58), est centré sur le concept de cartésianisme esthétique du classicisme français, source de plaisir, que Rameau fit sien. Catherine Kintzler décrit les éléments nécessaires au plaisir du connaisseur du XVIIIe siècle dans tous les arts, que ce soit la gastronomie, la réalisation des jardins et des bâtiments ou la musique. La connaissance et le savoir lui sont indispensables pour décrypter le spectacle et comprendre le travail de l’artiste, qui, lui, doit jouer d’artifices invisibles pour dévoiler la vérité de la « belle nature » et provoquer un effet d’émerveillement (p. 46-49). L’homme de goût est alors sujet aux plaisirs successifs : plaisir de l’illusion entraînant l’émerveillement, plaisir de ne pas être dupe grâce à la connaissance et enfin plaisir de la reconnaissance de la vérité (p. 50). L’artiste, quelque soit son art, joue avec la théorie des passions pour émouvoir l’âme de l’homme de goût et lui faire apprivoiser ses passions. L’illusion maîtrisée de la mise en scène, enjeu du travail esthétique, se revêt alors d’un pouvoir éthique en enchantant le corps et en satisfaisant la raison : « le théâtre devient nécessaire à la vie » (p. 58). Cependant, comme le rappelle l’auteur au chapitre suivant, en prenant appui sur les écrits de Cahusac, la tragédie lyrique n’a pas une fonction didactique, déjà remplie par la tragédie dramatique, ce qui n’empêche pas l’œuvre de contenir des thèmes et des idéologies explicites, sans pour autant devenir une « œuvre à thèse ou à message » (p. 83).
                Le troisième chapitre, Le théâtre des enchantements, théorie de la tragédie lyrique (p. 59-84), s’attache plus particulièrement à décrire les débuts de la tragédie lyrique, les causes de sa création par Lully et Quinault, les critiques qu’on opposa à son développement, puis son évolution jusqu’à Rameau et ses caractéristiques propres, par emprunts, opposition ou transposition à partir du genre le plus noble de l’époque, la tragédie dramatique. L’auteur ne propose donc pas de chercher les liens de filiation entre la tragédie lyrique et les autres genres préexistants (tragédie du XVIe siècle, comédie-ballet, pastorale), recherche qu’elle juge inutile (WATTHÉE- DELMOTTE, p. 213) contrairement à Sylvie Bouissou (BOUISSOU, p. 33-46), mais s’intéresse plutôt à la constitution du genre par rapport à la tragédie classique. Selon Catherine Kintzler, les principes du classicisme français s’appliquent également à la tragédie lyrique, qui, en suivant des règles bien définies, se révèle être finalement un genre classique à part entière, un objet aussi « régulier » (p. 77) que la tragédie classique puisqu’il s’avère suivre les mêmes lois générales (même si Catherine Kintzler doit introduire le concept de « vraisemblance du merveilleux » (p. 75)). Ce chapitre étoffé pour l’édition de 1988 fait directement écho à un autre de ses ouvrages, qu’elle publia en 1991 sous le titre Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, mettant en évidence les liens étroits (un certain « parallélisme inversé ») établis entre les deux genres, que sont les tragédies dramatique et lyrique dans l’esprit des créateurs du genre lyrique. En présentant le genre de la tragédie lyrique comme une forme de « traitement parodique » de la tragédie puisqu’elle transgresse systématiquement ses règles (p. 82), Catherine Kintzler justifie certains éléments comiques (voir l’exemple de Platée) présents dans le genre, qui sera d’ailleurs lui- même véritablement parodié, notamment sur les théâtres de la Foire. Enfin, elle fait judicieusement remarquer au début de ce chapitre qu’éléments classiques et baroques cohabitaient de manière naturelle pour un homme de l’âge classique (p. 59). En gardant cela à l’esprit, la constitution de Platée est-elle donc si condamnable ? L’auteur peut donc en conclure que « L’opéra classique français prend vraiment la frivolité au sérieux et pousse la perversité générique à un point de raffinement inconnu jusqu’alors » (p. 84).
                Le quatrième chapitre, La musique nécessaire et l’obligation du récitatif (p. 85-109) présente les tentatives de Voltaire de réformer le théâtre lyrique lors de sa collaboration avec Rameau, le poussant dans une voie que ce dernier ne pouvait et ne voulait pas suivre. L’idée de Rameau était de passer de la suprématie de la déclamation à la double autorité de la musique et de la langue dans l’opéra. La querelle des Lullistes en est la conséquence directe, remettant en question toute émancipation par rapport à la langue de la musique, qui deviendrait alors vacarme en sortant de la bienséance (p. 88). La musique de Rameau représente pour ses contemporains un « objet bizarre, en tous cas déplacé sur une scène de théâtre où tout doit parler » et aller au cœur (p. 90). Ce que proposait Voltaire était de réduire les récitatifs au minimum et d’offrir une place plus importante à la musique, la rendant à son tour supérieure à tous les autres arts qui concourent à l’opéra (p. 92). Il envisageait également de rapprocher le genre lyrique du genre dramatique, dont il était le représentant français le plus important, en procédant à une espèce de compromis entre les exigences dramatiques de la tragédie et la dimension merveilleuse et spectaculaire de l’opéra (p. 97-101), préfigurant ainsi une esthétique de l’âme sensible (p. 99). En complément à l’étude des relations entre Rameau et Voltaire, il serait intéressant de consulter l’ouvrage récent intitulé Voltaire et l’opéra dirigé par François Jacob qui s’attache notamment aux autres collaborations directes ou indirectes de Voltaire pour la scène lyrique. Voltaire, ayant certainement étudié le Traité de l’harmonie de Rameau et entendu ses diverses œuvres, ne prit pas en compte le fait que Rameau tenait à ce que sa musique soit « étroitement liée à la présence matérielle et signifiante du texte » (p. 101). Le texte, non comme porteur de signifiant mais comme matière et comme forme, était indispensable à Rameau dans une tragédie lyrique. Deux conceptions de la tragédie lyrique s’opposent donc au travers des deux hommes, conceptions qui s’opposent également à celle de Rousseau (p. 98, 103-104).
                La seconde partie de la monographie, Vérité et transparence, nous prévient que Catherine Kintzler étudiera également le modèle rousseauiste (p. 103). La page de titre (p. 111) présente ainsi une citation du chapitre XVII de l’Essai sur l’origine des langues, clairement écrite comme une attaque contre Rameau.
                L’introduction (p. 113-118) débute par une annonce des plus troublantes : la mort de la tragédie lyrique vers 1764. La mort de Rameau et la fin de l’esthétique classique auraient sonné le glas de la tragédie lyrique. Il semble cependant que les œuvres produites après l’arrivée de Gluck (livrets signés Chabanon, Guillard, Pitra, Hoffman, Marmontel, etc.) signalent assurément un changement de sensibilité, d’esthétique et de paradigmes, mais en aucun cas la mort de la tragédie lyrique. Elle se régénère à partir de tragédies préexistantes, adaptées et transposées pour la scène lyrique, comme en témoignent certaines références de la bibliographie ci-dessous. Selon Catherine Kintzler, une nouvelle esthétique apparait avec Rousseau, mais il serait à noter que les Chabanon, Lacépède, La Borde, Framery, et Momigny, tous théoriciens de la musique, contestèrent chacun à leur tour certains éléments de la pensée de Rousseau, et pas toujours les mêmes.
                Comme Rameau, Rousseau développe un système fondé sur une philosophie complète, dont le noyau fondamental est également « un concept de nature » elle aussi dérobée aux regards humains (p. 117). Il ne s’agit pas pour Rousseau de dévoiler une vérité cachée, mais « il n’est question ni de la même nature, ni du même dévoilement » (p. 117). Rousseau voit dans le progrès une dégénérescence et dans l’artifice, révélateur pour Rameau et les classiques, un masque, ce qui fait que la vérité originaire est définitivement perdue et devient « un mythe fantastique » (p. 118). Il ne s’agira donc plus de la retrouver mais de la reconstruire. Rousseau fait donc appel à trois étapes principales dans toutes les sphères de sa pensée :
- « transparence hypothétique »
- « dégénérescence et médiatisation »
- « dépassement et sublimation » (p. 118).
Dans les chapitres de cette seconde partie, essentiellement consacrée à la théorie de Rousseau fondée sur le retournement de celle de Rameau, Catherine Kintzler ne cesse de faire des parallèles entre les théories des deux hommes et ne perd jamais son lecteur.
                Le premier chapitre, la transparence d’un cœur à cœur : la musique telle qu’elle a dû être (p. 119-126) présente les distinctions et les oppositions entre les deux théories ramiste et rousseauiste. Les phénomènes physiques chez Rameau et les émotions suscitées par les passions chez Rousseau sont les prémisses de base de leur système. Catherine Kintzler montre que la théorie de Rameau, d’un accès aisé, n’est pas passée à la postérité alors que de la théorie de Rousseau excessivement complexe et fondée sur de nombreuses suppositions (p. 120-122), ont été retenues essentiellement les conclusions aux « conséquences anti-intellectualistes » voulant que la musique «  se passe de discours et réclame le silence de l’esprit » (p. 122). Dès l’origine, la langue-poésie originaire, telle que définie par Rousseau, se confond avec la mélodie idéale (p. 124), proche de la langue et de la musique des Grecs. Même dégénérée, cette mélodie porterait des traces de la mélodie originelle, « signe transparent des passions ». Ainsi, la musique n’imitant pas des objets mais bien des sentiments, la mélodie « exerce le plus grand pouvoir sur les émotions de l’homme » (p. 124-125). Pour Rousseau, la musique parlerait donc directement au cœur de l’homme.
                Catherine Kintzler présente dans le chapitre II, Dégénérescence et obstacle : la musique telle qu’elle est (p. 127-136), les théories de Rousseau prônant une dégénérescence de la musique originaire. Elles reprennent les mêmes étapes que celles élaborées dans son œuvre politique : articulation, matérialisation et intellectualisation de la musique. L’opéra français se présente comme une caricature du monde alliant à la fois musique et langue dans le pire état de déliquescence possible. Même la danse, bien que formant un spectacle théâtral agréable, est utilisée de manière à n’engendrer que désordre sur la scène. L’opéra ne serait de plus qu’artifices qui ne renvoient qu’à eux- mêmes et font obstacles aux regards du spectateur. Tout ne s’avère être que mensonge, masque et vanité (p. 135). En renversant l’esthétique classique et en bannissant les pratiques théâtrales françaises, Rousseau se place ainsi dans la lignée de Platon : « Quoi! Platon bannissait Homère de sa république, et nous souffririons Molière dans la nôtre! » (p. 136).
                Si le chapitre précédent montre que Rousseau semble exclure toutes pratiques théâtrales, le chapitre III, Renaissance et sublimation : la musique telle qu’elle peut devenir (p. 137-150), présente deux modèles de théâtres qu’il juge acceptables. Il ne donna pas un traité du spectacle parfait selon ses théories, mais ses écrits, aussi bien théoriques que musicaux, livrent des pistes que Catherine Kintzler explore avec minutie. Le récitatif italien se présente pour Rousseau comme l’union entre musique et langue qui se rapproche le plus de l’état originaire, grâce « aux propriétés musicales » de la langue italienne et « aux propriétés linguistiques » ou expressives de la musique italienne (p. 144). Le second modèle, inventé par Rousseau lui-même, permettrait aux Français d’avoir un spectacle national agréable tout en usant de la musique et de la langue françaises : c’est le mélodrame faisant alterner la voix parlée et la musique instrumentale dont Rousseau donna un exemple avec Pygmalion. Il s’agissait d’allier « la perfection du discours avec la richesse de l’harmonie » (p. 149). La richesse de l’harmonie de Rameau n’était donc pas complètement bannie par Rousseau : la phrase musicale était susceptible de mettre en valeur la phrase parlée. La musique pouvait relayer la parole parfois impuissante à exprimer les passions et à donner les « transports », dont elle était seule capable en parlant directement au cœur du spectateur (p. 150).
                La conclusion de l’ouvrage, intitulé Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique rappelle la volonté de Catherine Kintzler de présenter son ouvrage comme « un ouvrage de combat » (p. 152). Combat pour mettre en lumière la profondeur des théories esthétiques de Rameau et de Rousseau, trop souvent simplifiées et manipulées. Mais l’ouvrage ne s’arrête pas là, puisque des annexes lui sont ajoutées.
                Les trois éditions présentent à l’identique les trois premières annexes dont la première porte sur les positions de Rameau et de d’Alembert quant à la musique et leur commune utilisation des usages mathématique, expérimental et métaphysique de la raison (Annexe I, p. 155-169). Cette première annexe est directement liée à la seconde : une reproduction du « Discours préliminaire » aux Éléments de musique de d’Alembert (Annexe II, p. 171- 183), tandis que la troisième annexe (p. 185-194) présente les différents arguments de Catherine Kintzler voulant que Cahusac soit le librettiste des Boréades. Enfin, la quatrième annexe (p. 185-203), publiée uniquement dans cette nouvelle édition, propose une réflexion sur la place de la franc-maçonnerie dans l’œuvre de Rameau et sur la question du « merveilleux maçonnique ».
                Que retenir de cet ouvrage ? Pourquoi revêt-il une importance telle que l’auteur et une maison d’édition en donnent une troisième édition en trente ans ? Outre le parallèle entre les scènes dramatique et lyrique que Catherine Kintzler dresse au début de l’ouvrage et qu’elle a approfondi dans Poétique de l’opéra français, le livre témoigne de la persistance des préjugés envers le genre de la tragédie lyrique, les œuvres de Rameau et de Rousseau, plus complexes dans leur élaboration que les histoires de la musique le laissent encore entrevoir. L’auteur présente avec une grande clarté et une grande intelligence les pensées de ces auteurs, mais aussi celles de Cahusac et de d’Alembert. Catherine Kintzler considère 1764, date de la mort de Rameau, comme le glas de la tragédie lyrique telle que l’a conçue le classicisme français et il nous faut considérer Rousseau comme partiellement responsable de cet état de fait. L’auteur souligne cependant que la théorie de Rousseau fut éphémère et n’inspira que les Allemands du Sturm und Drang, d’ailleurs plus frileux que Rousseau lui-même. La suite reste à écrire.

Bibliographie
- BOUISSOU, Sylvie, Crimes, cataclysmes et maléfices dans l’opéra baroque en France, Paris, Minerve, Musique ouverte, 2011.
- CHAMPONNOIS, Cécile, « Nicolas François Guillard : un librettiste de Gluck encore méconnu », in Musicorum, Université François-Rabelais de Tours, Les Lumières et la culture musicale européenne : C.W.Gluck. avril 2011, Vol. 9, pp. 99-111.
- GUIET, René, L'évolution d'un genre: le livret d'opéra en France de Gluck à la révolution (1774-1793), George Banta Publishing Company, 1936.
- JACOB, François, éd., Voltaire et l’Opéra, Paris, Classiques Garnier, collection « L’Europe des Lumières », 2011.
- KINTZLER, Catherine, Poétique de l’opéra français — de Corneille à Rousseau, Paris, Minerve, coll. « Voies de l'histoire », 1991 (réimpr. 2005), 486 p.
- KINTZLER, Catherine, Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique, Le Sycomore, 1983 (280 p.), Minerve, 1988 (253 p.), Minerve, Collection Musique ouverte, 2011 (239 p.).
- RUSHTON, J.G., Music and Drama at the Académie Royale de Musique (Paris) 1774–1789, Thèse de l’Université d’Oxford, 1969.
- SADLER, Graham, « Tragédie en musique », dans Grove Music Online. Oxford Music Online,
http://www.oxfordmusiconline.com/subscriber/article/grove/music/44040 (accès le 9 décembre 2011).
- WATTHÉE-DELMOTTE, Myriam, La violence, représentations et ritualisations, Éditions L'Harmattan, 2002. [Catherine Kintzler, « La représentation de la violence sur la scène classique. L’exemple de l’opéra merveilleux », pp. 213-224].






 
Comptes rendus
Catherine Kintzler
Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique,
Minerve, Collection Musique ouverte, 2011