Revue Musicorum
Réunissant des chercheurs de différentes disciplines, ce numéro de Revue Musicorum s’attache à la question de la théâtralité de la musique et du concert (classique, contemporain, jazz, pop, rock) en dehors des genres comme l’opéra et dans un contexte contemporain. Les analyses ici rassemblées décrivent et interprètent, d’un point de vue esthétique et/ou socio-politique, les modélisations ou pulsions théâtrales présentes dans certaines productions musicales ou les altérations par le théâtre du rituel du concert, expériences variées pouvant conduire à la création d’œuvres ou de spectacles hybrides.
Involving researchers of various disciplines, this issue of Revue Musicorum aims to question the theatrical dimension of music and concerts (classical, contemporary, jazz, pop or rock), leaving aside operatic forms and focusing on contemporary contexts. This collection of papers examines, from both aesthetic and socio-political angles, how certain musical productions are modelled or triggered by theatrical concerns and how the ritual dimension of the concert can be similarly altered, this variety of experiments setting the stage for the creation of hybrid works or shows.
Quatrième de couverture
Théâtralité de la musique et du concert
des années 1980 à nos jours
Ce numéro de Revue Musicorum réunit des études de chercheurs issus de différentes disciplines (musicologie, littérature comparée, études théâtrales…) et de différentes universités ayant souhaité travailler sur la question de la théâtralité de la musique savante ou populaire et/ou de la théâtralisation du concert, de musique aussi bien classique que contemporaine, jazz, rock ou pop. Il est pour l’essentiel le résultat de deux journées d’étude sur le sujet, organisées en 2012 et 2013 par l’Institut de Recherche Pluridisciplinaire en Arts, Lettres et Langues à l’Université de Toulouse-Le Mirail.
Notre projet consistait à creuser et à développer une des problématiques qui avaient déjà été abordées lors de précédents travaux de recherche menés dans le même cadre pluridisciplinaire sur la relation entre théâtre et musique, en prenant cette fois pour corpus exclusif d’étude la musique et sa mise en scène rituelle : le concert. L’apparition des premiers enregistrements, au tout début du XXème siècle, fit craindre la disparition pure et simple du concert, et l’on sait que certains artistes parmi les plus éminents - au premier chef Glenn Gould - tirèrent même argument de l’essor des possibilités techniques pour instruire un véritable procès du concert comme espace de superficialité et d’exhibition : une manière, sans doute, de désigner négativement sa théâtralité. Aujourd’hui, avec l’essor du numérique, la dématérialisation presque absolue de l’écoute, qui menace le disque comme objet, incite paradoxalement à une réinvention du concert : la « théâtralité » qui, dans une certaine mesure, le discréditait, devient un recours, une possibilité de régénération, un mode d’affirmation de sa nécessité comme « moment » enregistrable mais non reproductible. Plus la théâtralité est présente, inventive, constitutive du projet esthétique, moins l’autorité de l’enregistrement - fût-il « live » - ne peut s’imposer sur le « J’y étais ! » qui trahit l’empreinte à la fois corporelle et affective qu’imprime un concert (et à vrai dire, tout spectacle) sur le public. Quelles que soient les critiques que l’on peut opposer à la notion de « spectacle vivant » - dont relèvent bien entendu la musique comme le théâtre - elle désigne une réalité sociale et sensible, qu’il s’agit évidemment, pour nous, d’étudier et de défendre. Chaque discipline intéressée devait donc aborder ce corpus de son point de vue et avec ses méthodes propres et non nécessairement musicologiques.
Nous souhaitions réfléchir à des œuvres ou spectacles musicaux situés en dehors ou à la marge des genres mixtes établis comme l’opéra ou la comédie musicale, déjà très étudiés, et nous ne désirions pas, du moins pas encore, traiter d’une question certainement liée à celle de la théâtralité de la musique mais qui ne peut se confondre avec elle, la question des nouvelles formes de théâtre musical repérables sur les scènes contemporaines.
Depuis environ une trentaine d’années, se manifestent dans le champ musical des phénomènes assez évidents de théâtralisation. Ces tendances concernent aussi bien la musique elle-même comme résultat d’une composition traditionnelle ou d’une création improvisée (même si le phénomène n’est pas seulement contemporain) que sa forme scénique ou performative, le concert (dans ce dernier cas, le phénomène est encore plus frappant et surtout plus actuel).
L’ouvrage s’applique donc à décrire ces phénomènes et à les interpréter non seulement d’un point de vue esthétique mais aussi, dans certaines études, sous un angle socio-politique, voire économique, afin de comprendre pourquoi de nombreux concerts, quel que soit le genre de musique dans lequel ils s’inscrivent, tendent à se théâtraliser dans la période contemporaine.
Mais nous voulions aussi aborder, de façon un peu plus générale, la question problématique de la qualité théâtrale de la musique, à travers sa dramaticité éventuelle, sa spatialité, ou encore sa corporéité et sa matérialité : autant de caractères susceptibles, selon certaines hypothèses, de modifier sa perception ou sa réception par l’auditeur, de transformer ou de déplacer son identité technique, pragmatique ou symbolique, et même, peut-être, de la « dé-musicaliser ».
À travers l’examen d’œuvres précises où l’on ne présume pas d’une seule définition du théâtre désiré, mis en œuvre ou pris pour modèle par les musiciens, sont donc examinées différentes hypothèses d’interprétation de ces phénomènes de théâtralisation : ainsi, on se demande s’ils relèvent de l’expérimentation artistique ou, au contraire, de la stratégie commerciale, si les formes qu’ils prennent, leurs causes, leurs significations et leurs effets sont propres à un artiste, à un genre de musique ou à une évolution sociale et idéologique des milieux musicaux ; se pose enfin la question de la propension de nombre d’entre eux à s’associer à une tendance générale des arts à la porosité et à l’hybridation dans une ambiance postmoderne de crise et de mobilité identitaire.
De même, en ce qui concerne plus précisément la scène, on peut constater plusieurs modalités d’altération du rituel du concert par le théâtre : irruption du verbal au cours de l’événement musical, inscription de cet événement dans une dramaturgie, une scénographie ou une mise en scène identifiables comme théâtrales, transformation du musicien interprète en acteur, montage alterné de moments musicaux et de moments théâtraux, superposition dans un même espace-temps de réalités ou d’actions relevant respectivement du théâtre ou de la musique…
En fin de compte, les études rassemblées dans cet ouvrage font apparaître que les raisons et les manifestations multiples de ce nouveau désir de théâtre, présent dans la musique d’aujourd’hui et dans sa mise en représentation, sont bien propres au monde musical : stratégie de diffusion, volonté de démocratisation ou d’articulation de l’interprétation à la pédagogie, désir d’interactivité avec le public et de création d’images physiques ou mentales, pulsion mimétique du corps musicien, quête de sens politique, expérimentation critique mettant en cause une définition de la musique comme pur art des sons ou du concert comme simple interprétation d’une partition dans un rapport frontal, etc. Mais cette variété de motifs participe aussi, à l’image de ce que l’on observe dans le monde du théâtre, de la danse ou des arts plastiques, du mouvement général des arts contemporains vers la création de spectacles et performances hybrides susceptibles, pour paraphraser Nietzsche, de nous faire « jouir en hommes complets ».
Dans leur diversité, dans leur complémentarité, et parce qu’elles s’appuient sur des œuvres précises, les études qui suivent valident certaines de nos hypothèses et répondent à quelques-unes de nos interrogations initiales. Si cet ouvrage n’a rien d’une recherche exhaustive, encore moins définitive, sur ce sujet encore peu abordé pour la période concernée, nous espérons cependant qu’il contribuera à poser les bases d’un questionnement nécessaire aujourd’hui et à susciter de nouvelles enquêtes collectives ou individuelles.
Les responsables éditoriaux :
Muriel Plana,
Nathalie Vincent-Arnaud,
Frédéric Sounac,
Ludovic Florin.
Préface
In 1980, Gilles Deleuze attended the premiere of Carmelo Bene’s Manfred at the Scala Theatre in Milan, a work inspired both by Robert Schumann’s dramatic poem and by Lord Byron’s verse drama. Shortly afterwards, Deleuze praised Bene’s ability to bring drama and music together and go beyond the traditional structure of the concert. This led him to coin the word Dé-concert, meant to convey the ideas of deconstruction of the structure of the concert and of dissolving of its boundaries into further areas and developments (its « Outside » and its « Becoming »).
Flore Garcin-Marrou
This paper is a study of two operas from Philip Glass’s Jean Cocteau trilogy, La Belle et la Bête (1994) and Les Enfants Terribles (1996). It focuses on the dialogue set up between cinema and music. After questioning the spatial arrangement of the work which rests on various scenographic devices and stages baroque characters, it examines the role of Glass’s composition in the light of a supposed theatricality. The music both conceals and reshapes Cocteau’s works, altering their genre and revealing the invisible presence of an exegetical composer who sings Cocteau like a modern Orpheus : Glass has musically put himself on stage.
Rémy Lamote
Certain musicians have a particularly acute sensitivity to sound and tone, and it is this musical dimension that they try more specifically to communicate to their listeners. It is the case of composer Michel Risse, the artistic director of the company Décor Sonore, who has worked in public space since the early 1980s. Making the city the stage, the object as well as the subject of his shows, he explores the potential of the aural aesthetic experience in an urban setting, in diverse and multidisciplinary forms, combining music, theatre, dance, science, acrobatics, etc. As a space that lends itself to listening, the stage area is an echo and a reflection of the city itself, with its flow, its multiple complexities, sonic, geometric, sociological, historical. The context of the work is an important element and the composer always looks for the most appropriate way to display the sounds of the city. He experiments with various ways of integrating the audience, through interactivity, story-telling, semi-staging, trying to showcase the sound in order to reveal it to the listener. His aim is to aesthetize the listening environment and bring the audience to take part in this aesthetic experiment.
Hélène Doudiès
In 2008, Josef Nadj presented Sho-bo-gen-zo, which he described as « a quartet for two dancers-choreographers and two improvising musicians ». By studying the various aspects and effects of the dialogue between the sound and the visual dimension, this paper aims to show how the freedom of improvisation, the theatricality and musicality of the body, as well as the choreographic devices work together so as to make the notion of « presence » central to the performance. With Sho-bo-gen-zo, afree transposition of Dogen’s eponymous book, dance and music are closely intertwined, setting the stage for the viewer’s awakening.
Julie Gothuey
The sound arrangements in Prédelle involve a sharp analysis of language. All attempts at deconstructing the unity of the page are part and parcel of an operation of dissection of the signifier, which questions the materiality of the sign. The page becomes a stage that visually inscribes movements and breathing through the fragmentation of body and words, syntax and the layout itself. The stage design of the rhythmic variations reinvents a magic relationship with dramatic writing where the graphic gesture calls for the reader-spectator’s acute sense of hearing and visual perception. Kermann takes into account the orality of language, challenging the senses through breathing and rhythm made flesh. The staging of the sound volumes and the graphic games in Prédelle recaptures a mythic language, that of the hieroglyphs which forever harbour a buried meaning, both manifold and open-ended. The choreography of bodies and sounds in Prédelle creates a dialogue of unusual figures in which the music hollows out the theatrical body to let out Orpheus’s voice.
Béatrice Dernis
This paper is an analysis of Psalm 151, a piece by Hungarian composer Péter Eötvös (1991). It aims to show how theatricality, central to the composer’s aesthetics, pervades the various devices involved in the piece, from the spatial arrangement of the instruments to the physical implication of the musician and, of course, the musical language itself. This theatrical dimension is at work in the creation of a genuine instrumental rite.
Marie Laviéville
In the field of pop music, production is often induced by or deduced from a process of conceptualization, which may also influence texts (lyrics, interviews and paratextual elements) or graphic creations (artwork, videos, websites, mobile apps). This mode of conceptualization is embodied by Björk, an avant-garde pop icon, whose latest album Biophilia was released with interactive apps, allowing the listeners to take control of the music and eventually become producers themselves. These creative gesture and interaction have been central to the theme developed by the artist since her solo debut. Both complementary and conflicting, the songs “Pluto” (Homogenic, 1997) and “Cocoon” (Vespertine, 2001) represent the body as a trigger of creation that emphasizes the physiological and psychological connections between musician and listener. As regards the lyrics, a communication system is set up between a narrator and a virtual listener; this device rests on a complex relationship with the environment conceived as either intimate and domestic or public and wide open, as is revealed by the thematic content of both albums: the harsh Icelandic huge spaces in Homogenic vs. domestic intimacy in Vespertine. The lyrics refer to the body in terms of interior and exterior. The body is described in an environment considered as a second skin (a domestic environment, “Cocoon”) or in a context of ??dissemination and explosion (“Pluto”). The videos faithfully capture this obsession with the moving body, featuring a body either wrapping itself in a cocoon or taking a variety of shapes; while the cocoon ultimately becomes a metaphorical boundary of physical intimacy and of assertiveness, the explosion of the body refers to a fragmentation which brings the various fragments together, setting the stage for the rebirth of the individual.
Josselin Minier
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