Analyse et interprétation : deux moments complémentaires et interdépendants de l'activité critique qui visent à rendre compte de la teneur sémantique singulière et diversifiée des oeuvres d'art et à inscrire celles-ci dans le champ d'une réflexion esthétique attentive aux problèmes spécifiques qu'elles suscitent au cours de l'histoire de leur réception. Comprendre une oeuvre dans son histoire et par son histoire, c'est, dans le cas du Marteau sans maître par exemple, connaître les conditions de sa transmision et les circonstances dans lesquelles sont parvenus jusqu'à nous des documents, récemment découverts, qui permettent de mieux saisir quel fut son processus de composition. C'est aussi interroger notre rapport actuel à des musiques écrites au cours des cinquantes dernières années, quelques-unes encore peu étudiées, d'autres déjà consacrées et reconnues ; dans tous les cas, il importe de réfléchir au mode de relation qui peut s'établir entre la pensée musicale qui s'est réalisée dans la composition et la recherche musicologique qui se donne pour tâche de l'interpréter. Cette activité de déchiffrement, où l'analyste tente de franchir la distance qui le sépare de l'oeuvre en essayant de la rejoindre en pensée ou, pour ainsi dire, de se porter à sa rencontre en se mettant à l'écoute attentive de ses moindres indices, n'est pas forcément rendue plus aisée dans le cas des musiques contemporaines qui peuvent à la fois donner l'illusion de la proximité et se dérober à l'identification de leurs enjeux théoriques. Le commentaire s'expose au risque du malentendu s'il ne s'appuie sur un examen détaillé de tout ce qui concerne la facture de l'oeuvre, sa complexion interne, non seulement pour mettre à jour des traits stylistiques ou des techniques qui attendaient d'être élucidées, mais peut-être encore davantage pour essayer de comprendre comment un fait de structure se transforme, dans une composition, en un événement singulier, porteur d'une qualité proprement musicale. Il arrive d'ailleurs que le texte musical lui-même fasse l'objet d'un travail de reconstitution, sur la base d'une réflexion critique à partir des sources existantes (esquisses, manuscrits, enregistrements...), selon qu'il s'agit de musiques sur support ou, plus généralement, d'oeuvres pour lesquelles la notion de phénomènes sonores peut s'avérer problématique. Aussi n'y a-t'il pas lieu de s'étonner si les exigences fondamentales de la philologie - l'établissement du texte et la discussion portant sur ses diverses interprétations - conservent une place importante dans les recherches menées sur des musiques récentes, surtout lorsque celles-ci témoignent d'un haut degré d'élaboration, comme c'est le cas avec les compositions de Boulez, Stockhausen Carter et Ferneyhough.
Les articles ici réunis sont les actes d'une journée d'études qui s'est tenue le 29 novembre 2002 à l'Université de Tours dans le cadre de l'équipe de recherche "Histoire des Représentations". Je remercie mes collègues M. Jean-Jacques Tatin-Gourier et Mme Laurine Quetin d'avoir apporté leur soutien à l'organisation de cette journée, ainsi qu'à la présente publication. Je remercie enfin la Fondation Paul Sacher (Bâle) d'avoir autorisé les collaborateurs de la revue Musicorum à reproduire la transcription d'esquisses et de manuscrits appartenant à ses collections.
2003
Analyse et interprétation des sources musicales de la deuxième moitié du XXème siècle
Préface